winter arrival to Paris at night after a long drive
61×50, oil on canvas
A une époque, je faisais plus ou moins régulièrement de longues routes tout seul. Je parle de cinq heures, parfois dix heures de route. Une route de cinq heures en compagnie demande moins de concentration que sans personne, parce qu'on peut parler, passer le volant, se reposer, etc. Quand on est tout seul sur l'autoroute, l'intérieur de la voiture a tendance à devenir l'intérieur de votre tête. Je ne conduisais pas exactement une voiture de dernière génération, donc ça demandait un peu d'énergie physique pour passer les vitesses, et au-delà de 110 km/h, il valait mieux vraiment bien tenir le volant. Il y avait plein de trucs qui ne marchaient pas, comme l'air conditionné ou la vitre conducteur. L'autoradio lisait uniquement des CD, on ne pouvait pas en changer en conduisant, et je n'allais pas perdre mon temps à m'arrêter à chaque fois pour ça. Du coup, j'ai passé des heures à tourner sur les mêmes huit ou neuf chansons en boucle. Quelques une d'entre elles, dès les premières notes, déclenchent encore aujourd'hui chez moi exactement la même tension physique que j'éprouvais pendant ces voyages. Mais Ô dieux ! qu'est ce que j'ai aimé cette voiture. J'ai remarqué qu'après plusieurs heures, je n'était plus vraiment un conducteur. J'étais devenu la partie organique d'un système mécanique aveugle, constamment en train de lire et d'analyser mon environnement en fonction des besoins de la machine. J'avais sombré dans un monde de couloirs bordés de lignes blanches, de mots-clés brutaux posés sur des panneaux, de signaux lumineux agressifs, principalement rouges, mais parfois verts, oranges ou même bleus. Les signaux rouges excitaient directement l'instinct de vigilance dans mon cerveau reptilien, alors que toute mon activité mentale était tournée vers le déchiffrage permanent des motifs de la circulation. Et pendant que je fatiguais de plus en plus de la conduite, le gouffre se creusait entre le centaure de chair et d'acier que j'étais maintenant, et l'homme que j'avais été autrefois - un homme qui avait connu la bonté de l'amour, et qui avait souri à la douce chaleur du soleil sur sa peau. Bon, on verra ça après, dès que je me serais débarrassé de ce tas de crétins qui encombrent le passage, c'est pas croyable, où est-ce qu'ils ont appris à conduire, dans le jardin avec mamie ou quoi ?